Evelyne Grossman _ La Créativité De La Crise
NOTE :
L’acception de l’inspiration s’avère le mécanisme de créativité dans une activité artistique comme la musique ; la pensée grecque évoque l’entrée dans l’extase. Par suite, la problématique paraît d’appréhender ce que signifie l’absence d’idées, entre l’exigence excessive envers soi-même et le surmoi sévère qui prohibe la jouissance. Antonin Artaud emploie le mot impouvoir voir le vocable déperdition dans le dessein de décrire la crise d’inspiration. Edgar Morin quant à lui évoque le fait que les crises engendrent des forces créatrices. En réalité, il paraît possible que l’idéal de progrès sans limites ne soit pas étranger au rêve infantile de toute-puissance.
Ici, la créativité interrogée, au sens psychanalytique, renvoie à la puissance du psychisme humain, des représentations imaginaires aux rêves et rêveries diurnes, et elle s’ancre dans l’élaboration de la perte de même que du manque ; au demeurant, Pierre Fédida différencie l’état déprimé et la dépressivité. Dès lors, on peut repérer une réécriture moderne du mythe de la crise féconde dans la relation entre la création et le traumatisme. Cet ébranlement, ou événement effractant, permet que s’ouvre un monde hors de l’ordre naturel, une espèce de mythe de la fécondation qui passe du néant à l’existence. Par ailleurs, on peut faire passer la blessure créatrice en quasi-concept ; Joë Bousquet dit même ma blessure existait avant moi, je suis né pour l’incarner.
L’écriture est un combat. Conséquemment, la création suscite des conflits et est désirable, car il existe un lien entre elle et la procréation ; en effet, elle donne un corps à la pensée, ou elle lui fournit une forme, et une idée incarnée décorporisée paraît comme avortée. Assurément, la technique de l’écriture automatique représente une antidote à toute culpabilité névrotique attendu que les mots s’écrivent presque seuls. Dans le Premier manifeste du surréalisme, André Breton engage à écrire promptement sans sujet préconçu pour ne pas être tenté de se relire parce que ce processus libère l’énergie créatrice propre au langage.
L’essai La Créativité De La Crise, d’Evelyne Grossman, met en exergue de manière émérite les multiples atours de la crise. En effet, il constate que la crise peut être un problème psychique de type traumatique, une séparation sans aller jusqu’à la catastrophe et un moyen d’épanouir son écriture. Au surplus, il souligne avec adresse le lien inextricable entre l’imagination et l’écriture en ce sens que la réalité intérieure et ce que cela inclut d’affres sert à stimuler la créativité. Enfin, il indique éminemment l’essence du drame subjectif du coût de l’invention, dixit Jacques Lacan, et comment cela s’explique à l’aune d’autres sciences.
EDITIONS DE MINUIT, 15 euros